Suite aux très fortes pluies qui se sont abattues sur le Ladakh dans la nuit du 5 au 6 août, causant une catastrophe sans précédent dans la région, voici le récit de Céline et quelques photos de Tsewang et Sophie.
"Dans la nuit, on entend au loin l'orage qui gronde... Rien de bien méchant...
Mais le matin, la nouvelle arrive de je ne sais où : il y a eu des inondations à Nyemo ! Je cherche à joindre Danielle et Diskit mais le téléphone ne passe pas. J'essaie encore et toujours, et à midi, Danielle décroche : "nous sommes vivants !". Cette simple phrase me glace le sang : "que s'est-il passé ?":
"une nuit de cauchemar !!! Le fleuve a débordé, une coulée d'eau
est tombée de la montagne, le village a été dévasté : nous avons
couru dans les champs dans tous les sens, personne ne savait où
aller, l'eau venait de partout ! Angchuk, Motup et Olivier ont couru
dans tout le village pour récupérer les gens qui pleuraient, qui
criaient... Et quand on a atteint la route en hauteur, ce sont des
avalanches de pierres qui nous sont tombées dessus : avec des roches
plus grosses que des voitures... Un vrai cauchemar !!! Des personnes
sont mortes : des travailleurs de la route. Et il y a 3 disparus dans
le village... On aurait pu y rester.... Et puis au retour, on a eu un
accident avec la voiture : le pneu a explosé et Angchuk a évité de
justesse de mettre la voiture au fossé. On a été ramenés par l'armée.
Le mariage est annulé bien sûr... A 1 jour près, nous étions 500 de
plus à courir à travers champs dans le déluge..."
La journée se passe. Diskit est restée à Nyemo.
Olivier et Danielle, choqués, sont restés dormir à l'hotel.
Angchuk repart dans son village et emmène Rabyang
(le 3ème de la famille de Diskit) avec lui pour aider.
Le soir, nous nous retrouvons avec Rigzin, Sonam,
Rinchen, Rabgyes, et 2 français pour nous changer
les idées... Nous buvons un peu, chantons des chansons
locales, des chansons françaises, racontons des blagues...
Rigzin est un superbe chanteur. La soirée est vraiment
chaleureuse et joyeuse... Le soir, chaque "groupe" rejoint
ses quartiers. Il est minuit....
Vers minuit et demi, l'orage qui menaçait sur les montagnes
alentour explose. Le ciel est illuminé en permanence.
Il pleut des trombes d'eau. La pluie est glacée. Impossible
de dormir jusqu'à au moins 1h30... Puis ça se calme.
La fatigue prend le dessus et je m'endors.
Qui aurait pu prévoir ? Qui aurait pu ????
Le lendemain, à 8h30, je retrouve Sonam dehors. Il vient de recevoir un coup de fil : la moitié de Choglamsar a "disparu" ... Je ne prends pas au sérieux plus que ça cette information. C'est sûrement juste "une façon de parler"...
Je décide de retrouver Olivier et Danielle à leur hôtel et de déjeuner en cours de route. Pour cela, je dois descendre jusqu'à Leh (40 min de marche), puis encore plus bas jusqu'à leur hotel (20 min de plus). Je me dis que je vais m'arrêter au Jeevan Restaurant, le premier de Changspa road en descendant... mais il est fermé... je me dis qu'ils ont dû avoir quelques dégats dans leur cuisine à cause de la pluie... A moins que ce soit tout simplement trop tôt pour ouvrir ?... En descendant encore, les boutiques sont fermées mais ça ne me choque pas car dès que l'on est un peu hors saison, cette rue est majoritairement fermée... J'atteins ensuite le centre de Leh et je me dis que je vais faire un petit détour pour prendre des galettes de pain cachemiri dans la "rue des boulangers"... Là encore,
tout est fermé... je me dis : "c'est normal, c'est vendredi, ce sont des musulmans..."... Et forcée de continuer dans la rue principale je dois bien me rendre à l'évidence : tout est fermé !!!! Encore un petit espoir de trouver le "pinguin restaurant" ouvert pour me remplir l'estomac : peine perdue, il est fermé aussi ! Cette fois, je suis inquiète. Je descends tout droit à l'Hotel Mandala pour retrouver Olivier et Danielle : seule Danielle est là : "ça a recommencé me dit-elle. A Nyemo, mais aussi tout le bas de Leh est détruit ! Diskit, Angchuk et Rabyang ont de nouveau passé la nuit à courir dans les champs... Mais à Leh, toute le quartier vers les bus est détruit ! " Mon sang se glace. Olivier revient déjà avec des
photos : c'est l'apocalypse ! Toutes les maisons ont été emportées. Karma, le propriétaire de l'hotel décrit sa nuit d'horreur, allant de corps en corps, testant les pouls pour n'embarquer que les vivants... "Il y a une centaine de morts dit-il ! "Motup revient lui aussi du champ de "bataille" : on a besoin de bras pour dégager les pierres !! Je me débrouille je ne sais comment pour trouver la moto d'un copain qui me remonte au centre écologique. Je me change et redescends aussitôt pour aller aider... J'ai quelques biscuits dans le ventre. C'est tout. Mais je n'ai pas faim. Sur place, on ne voit même plus les maisons. Des files s'organisent pour dégager la terre, creuser... Certains ont des pelles, d'autres des bouts de tissu dans lesquels ils transportent les gravas de l'autre côté. Le but est de dégager ce qui peut l'être encore...
Vers 16h, une camionnette passe pour dire qu'à Choglamsar, on a besoin d'aide... Je pars avec d'autres dans 2 camions militaires. Je me souviens de ce que Sonam m'a dit le matin même "Choglamsar est à moitié détruite". Que vais je trouver ? J'ai peur que les mots entendus soient vrais....
A la descente du camion. Je ne reconnais rien. La situation est pire qu'à Leh : il n'y a plus RIEN !!!!! Choglamsar a été lessivée, rayée de la carte !! Que peut-on faire ??? balayer la montagne ???Il y a une épaisseur de boue, comme du ciment liquide de 1m50 au moins et seuls quelques murs sont encore debout... L'armée drague la boue avec des bâtons en s'enfonçant jusqu'en haut des cuisses. Des morceaux de bois sont posés sur le sol mouvant pour permettre d'avancer... Que peut-on faire ??? Je ne peux qu'avancer, pétrifiée... Où est la maison de Rigzin Chorol ? Où est celle de Sonam Youdol ? Où est la Rigjum Public School ??? Je ne distingue rien d'autre que le TCV (l'école des enfants tibétains) qui tient debout comme par miracle au milieu de l'immense "plaine"... Mais où sont les maisons-internat ??? Avant, ce n'était pas une plaine, c'était un labyrinthe de rues et on ne voyait pas le TCV depuis "la route".... Des voitures sont encastrées dans ce qui reste du Bazar... Je me rends compte que nous marchons sur le mur mane (mur construit avec des pierres sculptées de prières)... c'est un sacrilège mais il n'y a pas d'autre choix.
Tout est très désorganisé et l'armée, qui nous a fait venir, nous demande finalement de partir car le ciel est menaçant et que tout peut recommencer très vite. On repart donc par les moyens qu'on trouve...
Je saute à l'arrière d'un pick-up et remonte doucement à
Leh. Je repasse par cette "autoroute" qui mène de l'aéroport à Leh et
qui n'est plus que le lit de torrent asséché, rempli de pierres et
de terre. Les torrents de boue sont venus de toutes parts : il n'y a
jamais eu même un ruisseau ici ou à Choglamsar : c'est l'orage qui a
créé des torrents improvisés...Toute la population a peur. Il est 18h. Le ciel menace. Des gens crient de monter sur les montagnes. Des fausses rumeurs de torrents en crue circulent. Je rejoins Leh le plus vite possible. On s'appelle
les uns les autres : où vas-tu ??? Sonam m'ordonne de rejoindre le Shanti Stupa le plus vite possible : le torrent est en crue et le pont ne tiendra peut-être pas. En chemin, Tinley a trouvé une voiture et me prend au passage... mais on ne peut déjà plus franchir le pont avec un véhicule. Alors je descends de la voiture et je cours pour
traverser. ça y est, je suis de l'autre côté : ce n'était qu'un pont avec un torrent menaçant finalement... Comme moi, des dizaines et des dizaines de Ladakhi grimpent se réfugier au Shanti Stupa. Là haut, c'est un véritable camp de base de réfugiés.... Nous y passerons une nuit, puis une seconde et la nuit dernière encore. Durant la deuxième nuit, c'est le village de Dha qui a été ravagé, à presque 200 kms d'ici...
A Leh, les nuits sont calmes depuis même si la tension reste palpable.
Les volontaires s'organisent : ce sont les civils qui creusent. L'armée dégage les routes... Nous sommes en blocus :l'approvisionnement ne peut venir ni de Srinagar (route de Nyemo), ni de Manali (route de Choglamsar). On rapatrie les trekkeurs : on envoie des hélicoptères. La vallée de la Markha a été la plus touchée mais il y a eu des éboulements vers Lamayuru aussi. Ils ont dégagé la piste de l'aéroport et évacuent les touristes : hier, aujourd'hui et
demain, 3 avions supplémentaires ont été affrétés. J'entends les touristes paniqués parler de leur visa, de leur avion qu'ils risquent de manquer, des difficultés qu'ils ont eu sur la route... A côté, Tsewang a été reconnaître les morts dans son village de Choglamsar : des enfants, beaucoup d'enfants... et encore tellement de disparus, ensevelis... Choglamsar a été détruit à 70%. Impossible de dire combien il y avait d'habitants : c'est la grosse banlieue de Leh...
Tous pensent qu'il ne peut pas y avoir moins de 500 morts. Je le pense aussi...
Leh est choquée. Entre vie et mort, on rit encore mais on ne parle pas d'avenir. On vit aujourd'hui, "tomorow never happen" comme on dit toujours ici... Mais aujourd'hui, ça a encore plus de sens... Quelle est la valeur d'un visa, d'un avion manqué, de vacances avortées dans ces conditions ? J'entends des touristes dire "qu'on ne s'est pas assez occupé d'eux" ?... Ils n'ont sans doute pas assez séjourné ici pour relativiser la valeur des choses...
Avant-hier, je me sentais impuissante, comme la majorité d'entre nous. Alors j'ai pris mon outil, ma caméra, et je suis retournée à Choglamsar. Hier et aujourd'hui, je cherche des points d'électricité pour monter ce que je peux, enespérant qu'internet tiendra le coup pour que je puisse envoyer quelques images... Témoigner est la seule chose que je puisse faire pour l'instant.
Mais hier, les volontaires se sont organisés davantage et dès que ces images seront parties, je me joindrais à eux pour un travail de terrain : nettoyer l'hôpital, creuser dans les maisons... Sonam Norbu a rejoint l'équipe du rafting : ils récupèrent les corps dans l'Indus. Il n'a jamais fait de rafting mais c'est aussi une façon de noyer sa peine : sa voiture
était à Choglamsar : c'était sa "confiance", sa "réussite" sa voiture...
Je passe toutes mes nuits au Shanti Stupa. La moindre goutte d'eau est une alerte mais je ne crains rien. La catastrophe est passée. La priorité est aux vivants..."
Un bilan provisoire communiqué par Sophie le 13 août :
Voici les chiffres donnés par L.B.A Ladakh Boudhist Association il y a quelques jours (je pense qu'ils ont du augmenter depuis):
> -1000 familles et maisons touchées.
> -185 morts
> -600 disparus
> -500 blessés
> -20 ponts détruits
> Les villages les plus touchés sont:
> -Leh, les alentours du bus stand et l'hopital
> -Choglamsar, camps n°
> -Phiyang
> -Saboo
> -Shey
> -Taroo
> -Skarmo
> Les routes touchées:
> La route de la Markha n'est plus du tout pratiquable
> La route de Srinagar est maintenant meilleure, les ponts de Nimoo, Basgo, Yangthang, etc..... sont détruits.
>
> Des camps de refugiés se montent un peu partout, dans les camps militaires, au TCV de Choglamsar qui n'a pas été touché (comme on a pu l'entendre en France ; les 2000 élèves vont bien)
> Il y a encore des gens qui dorment dans les montagnes dès que le ciel se couvre.
Si vous voulez apporter une aide aux habitants sinistrés du Ladakh, vous pouvez adresser vos dons à l'association : chèques libellés à l'ordre de Lions des Neiges Mont-Blanc, en inscrivant au dos la mention "pour le Ladakh". Un recensement des besoins est en cours, Sophie et Tsewang s'en occupent en lien avec les associations locales et notamment la L.B.A Ladakh Boudhist Association .